Le rédacteur et la société du spectacle.
Certains rédacteurs pensent à ce qu’ils font, non seulement d’un point de vue technique et artistique, mais aussi philosophique. Le rédacteur n’est pas un artiste. Il se situe résolument du côté de la communication d’entreprise, du côté du spectacle.
Le spectacle global.
En ce moment, je pense tout le temps à « La société du spectacle » de Guy Debord et pas seulement parce qu’Adèle Van Reeth y a consacré une émission sur France Culture « Les chemins de la philosophie » en 2017 ou parce que Sollers l’évoque dans son dernier ouvrage : « Centre » chez Gallimard. Et oui, je me nourris de philosophie sur France-Culture mais j’écris « pas trop littéraire, pas jargon, compréhensible par l’internaute lambda ». La philo mène à tout et c’est une excellente formation pour les rédacteurs, j’y reviendrai.
Entre nous, je peux parler de mes obsessions…
Guy Debord n’est pas au programme du BAC ! Alors comment y arrive-t-on ? Pour moi, c’était en 1993 je crois, à Orléans dans un colloque sur Georges Bataille. Régulièrement, quelqu’un dans l’assistance demandait la parole. Il se présentait en disant : « je suis un ancien situ ». Ça me fascinait tous ces « anciens situ » passionnés de Georges Bataille. Intellectuellement, je suis curieuse. Donc j’ai voulu savoir ce qu’étaient des « situ », des situationnistes.
Ce qui est stupéfiant c’est à quel point « Le capital » de Marx et « La société du spectacle » sont toujours d’actualité.
Donc, « La société du spectacle » devient une obsession parce qu’en écrivant, je suis une marchandise et j’ai le sentiment de participer au spectacle. Quoi le sentiment ! JE participe au spectacle.
« Je est un autre ». « Je » est schizoïde, « je » se donne à donf’ au spectacle et « en même temps » se voit agir. « Je » aime le futile certains jours et déteste le capitalisme mondialisé toujours.
Et je précise que je ne parle pas de l’extrême gauche !
Uu fait divers, une tragédie humaine ? hop, ça devient un spectacle à grand renfort d’indices, de conférences de presse et de marches blanches.
Toinette ( ayant lu Guy Debord ) :
– le spectacle vous-dis je !
Les débats politiques, les interventions présidentielles ?
– le spectacle vous-dis je !
Les grèves, les manifs, les négociations, les voyageurs en rade sur les quais : « même le vrai devient un moment du faux. » Tout se confond.
Le spectacle ! vous-dis je.
Les frappes ciblées de la France est ses alliées en Syrie sur les stocks d’armes chimiques d’Assad.
– Le spectacle ! vous-dis je.
Facebook ? une mise en abîme ! un spectacle dans le spectacle ! vous offrez vos données, et pourtant vous le savez : « Quand c’est gratuit, vous êtes le produit » mais vous avez tellement envie de vous donner en spectacle !…
Au moins, la fashion-week c’est du spectacle qui ne prétend pas être autre chose. Mais les mannequins, les créateurs et même les spectatrices du premier rang ? des marchandises du spectacle global. Mmmm, ça se porte ça ? ça se porte vraiment dans la rue ? Le spectacle sur le podium n’étant qu’un spectacle dans le spectacle.
« Les beaux jours en mode starlette !
Le soleil pointe son nez ! Le mercure monte dans le thermomètre ! On sort les lunettes noires, les robes pimpantes et les tops sexy pour se la jouer starlette sur les roof top parisiens. »
Ça c’est le spectacle qui s’écrit. Une vie extérieure. En mode « vie intérieure » ça donnerait quoi ? Trou noir. Vide sidéral !
Pour la vie intérieure, direction : les blogs et forums sur le mal-être, rebaptisés « bien-être » parce qu’il faut positiver. Mais voyons !
Ce qui compte n’est pas la plainte ! C’est le remède, le prétendu remède !
Le spectacle ! vous dis je.
A notre époque la vie intérieure se résumerait-elle au mal être ? Non, elle est souvent ricanante et moqueuse, poétique, rêveuse, rebelle, mélancolique, curieuse, mais toujours secrète, invisible, volée à la société du spectacle.
Les exclus du spectacle.
Vieux, moches, pauvres : dans la fosse !
Vous n’êtes pas assez belle ? Vous ne serez même pas vendeuse.
Vous n’avez pas de pouvoir d’achat ? vous ne pouvez pas représenter le client.
« La société du spectacle » n’a pas besoin de vous. Et d’ailleurs, cachez-vous, vous risqueriez de gâcher la spectacle. Ici, on affiche la beauté, la jeunesse, le fric, la performance, le succès, la réussite., la propreté et la transparence.
Certains s’étonnent que « L’avenue » ne souhaite pas recevoir de femmes voilées. Mais les gros, les vieux et les moches en général sont tout aussi indésirables dans les restaus où l’on va pour voir et se montrer. C ‘est ainsi depuis 20 ans au moins. Et c’est pareil à « l’hôtel Costes », à « L’Esplanade » ou dans tous les restaus branchés, du groupe Costes, ou pas. Et que dire des serveuses qui ne peuvent être que grandes, jeunes, minces, et sexy ? C’est un effet de la société du spectacle ! En terrasse et dans les endroits visibles de ces restaurants, on ne veut que des clients beaux, jeunes, riches et « fashion tendance ».
Un monde comme ça est-il crédible ?
Non, et pourtant tout le monde veut y croire, tout le monde veut en être, tout le monde espère son quart d’heure Warhrolien.
Enfin, sauf ceux qui, comme moi, préfèrent jouer les petites mains dans l’ombre.
Alors, qu’il écrive des fiches produits, des articles de blog, des storytelling, le rédacteur participe au spectacle sur le web. Il sert l’entreprise, soit, mais aussi le marché et le spectacle global.
Mais au moins, il peut avoir le physique de Houellebecqu ou de Marguerite Duras sur la fin, et cultiver sa vie intérieure.