( revoilà le film d’auteur à petit budget, sortez les mouchoirs !)
Disons la vérité sur un métier ubérisé qui permet tout juste de survivre. On ne dira jamais assez à quel point le métier de rédactrice free-lance revient à travailler pour vivre en-dessous du seuil de pauvreté. En faisant le choix du métier de rédacteur free-lance, on fait souvent, sans le savoir, le choix de la misère.
Le rédacteur free-lance est souvent une rédactrice.
Le métier s’est féminisé et ce n’est pas un hasard. Chaque fois qu’un métier se féminise, c’est qu’il est est dévalorisé et sous-payé. De fait, les hommes s’orientent vers des professions mieux considérées et mieux rémunérées, telles que webmasters, SEO ou développeurs. Certes, il reste quelques rédacteurs mais les femmes constituent la majorité des troupes.
Contrairement à ce que je lis ici et là, sur le web, le métier de rédactrice free-lance n’est pas un rêve. En théorie, on est libre d’organiser son temps comme on veut. Certes, on peut décider de ne travailler que 4 heures par jour mais les revenus s’en ressentiront. En réalité, il faut tellement travailler pour gagner l’équivalent d’un SMIC brut, que le temps libre n’existe pas.
Le tarif devrait être au moins identique à celui des traducteurs. Il faudrait demander 0,15 euro le mot, bien que le tarif au mot ne soit souvent pas adapté. Or quand nous obtenons 0,10 euro le mot, nous nous en satisfaisons car la plupart des clients refusent de payer ce prix.
La concurrence à bas coût des travailleurs de l’autre bout du monde, même si la qualité n’est pas la même, laisse croire aux clients que ce sont « ça » les prix de la rédaction. Sans parler de la concurrence de ceux qui détruisent la possibilité de vivre de ce métier, et leur avenir, en cassant les tarifs pour obtenir un client.
Le fait que des clients n’accordent pas d’importance aux textes, qu’ils soient incapables de juger de leurs qualités, et de discerner les fautes d’orthographe ou de syntaxe, leur laisse penser que tout se vaut.
Ça ne s’arrangera pas tant que les rédacteurs et rédactrices français casseront leurs tarifs pour les aligner sur ceux de Madagascar ou des pays africains qui n’ont pas nos charges sociales.
Rédacteur free-lance, un métier à déconseiller aux jeunes.
Certains vous diront qu’ils gagnent très bien leur vie. C’est possible, s’ils ont une réputation et des clients hauts-de-gamme. Mais attention ! c’est l’arbre qui cache la forêt ! Le métier de rédacteur rapporte moins qu’un job de caissière en hypermarché, les congés payés, la participation et la mutuelle en moins.
Alors voilà, je le déconseillerais catégoriquement à ma fille ! Par chance, ma fille a un master de droit qui lui assure un gros salaire. Aux jeunes filles déjà embarquées dans la rédaction, je conseillerais de chercher un poste de rédactrice salariée dans une grande entreprise ou du côté des institutionnels.
Aux très jeunes donc, je ne conseillerais pas « la liberté ». Derrière le mot de salarié, il y a ces mots qui font rêver : 35 heures, congés payés, cotisations retraite, mutuelle, intéressement, participation, comité d’entreprise…
Aux très jeunes qui veulent « la liberté », je dirais que la liberté se paie d’un prix exorbitant. Alors avant de céder au désir de liberté comme à un caprice, je conseillerais un long moment de réflexion. D’autant qu’il ne sera jamais trop tard pour renoncer aux charmes du salariat. Je rappelle ici la fable de La Fontaine : « Le chien et le loup. » C’est l’histoire d’un chien repus mais enchaîné et d’un loup famélique mais libre. Mais libre de quoi, au fait ? d’errer à la recherche de nourriture ? Est-ce vraiment une situation enviable ?
Ça se regarde quand on a un bébé et qu’on souhaite l’allaiter. On peut alors se satisfaire de cette situation 6 mois, un an ou deux. J’ai personnellement allaité 18 mois en travaillant à mi-temps.
Ça se regarde aussi, si votre mari gagne très, très, bien sa vie. Vous pouvez alors sans problème, vous permettre de travailler comme rédactrice, et d’imposer le prix fort.
Sinon, aux revenus insuffisants, s’ajoutent la solitude, et un isolement social qui ne sont pas souhaitables pour des jeunes. Le confort de travailler tranquillement chez soi devient vite un enfermement si l’on a pas les moyens de se payer des sorties et un abonnement dans un club de gym, par exemple.
Cette semaine, dans un bar de Saint-Germain, j’ai rencontré une jeune fille qui terminait des études de communication. En stage à l’Elysée, elle croisait des ministres en courant après les poules qui s’aventurent sur les parquets. Je me suis aussitôt enquise de ses ambitions…
Elle n’envisage pas d’être sous-smicarde free-lance !
Ma « belle vie » de rédacteur free-lance : déconseillée aux âmes sensibles.
Quant à moi, je n’ai pas fait le choix de la liberté au prix de la misère. J’aime l’écriture, la liberté et même la solitude mais il y a des limites ! J’espérais gagner correctement ma vie. Classée sénior, j’ai atteint l’âge fatidique qui me ferme les portes des entreprises. Quand j’étais jeune, heureusement, je travaillais dans la publicité, puis dans la communication, et je gagnais bien ma vie. Quand on est jeune aujourd’hui peut-on sérieusement envisager de faire un métier qui ne permet pas d’épargner pour acheter un appartement, de voyager, de partir en vacances, d’élever tranquillement des enfants, de se payer des implants dentaires, ou de bénéficier d’indemnités journalières si l’on est temporairement dans l’incapacité de travailler ?
Réservé à celles qui placent la liberté bien au-dessus de l’argent, qui n’ont pas peur de la solitude et ne craignent pas une vie monacale, ce métier exigeant permet à peine de survivre.
Le métier de rédacteur free-lance exige (outre les compétences) de la force, du caractère, de l’assurance, de l’auto-discipline, et de la patience. Le métier de rédacteur free-lance exige du courage ! Celui de refuser un travail sous-payé pour ne pas aggraver le problème. Oui, il faut trouver la force de refuser un travail sous-payé, même si l’on se demande comment on va payer son loyer.
En fait, la rédaction, c’est la vie d’artiste sans faire un métier d’artiste. Si l’on considère que l’on ne fait pas dans un métier de la communication, mais un métier d’artiste, alors c’est la bohème, et tout va bien. Mais notre côte n’atteindra jamais celle de Murakami ou Damien Hirst. Aucune chance !
Alors non, non, et non ! A 20 ans et des poussières, le métier de rédactrice free-lance n’est pas enviable même si l’on aime l’écriture et la liberté, tant le statut des rédacteurs ne sera pas revalorisé et reconnu comme une pièce maîtresse du contenu.